samedi 18 mars 2017

LA BELLE CHANSON - Léo FERRE : Le temps du tango / Paris canaille / Le piano du pauvre / Les poètes

LA BELLE CHANSON

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Léo FERRE (3/10) : Le temps du tango / Paris canaille / Le piano du pauvre / Les poètes   

         
bredouilleSKB 
Moi je suis du temps du tango
Où mêm' les durs étaient dingos
De cett' fleur du guinche exotique
Ils y paumaient leur énergie
Car abuser d'la nostalgie
C'est comm' l'opium, ça intoxique
Costume clair et chemis' blanche
Dans le sous-sol du Mikado
J'en ai passé des beaux dimanches
Des bell's venaient en avalanche
Et vous offraient comme un cadeau
Rondeurs du sein et de la hanche
Pour qu'on leur fass' danser l'tango !

Ces môm's-là, faut pas vous tromper

C'était d'la bell' petit' poupée
Mais pas des fill's, ni des mondaines
Et dam', quand on a travaillé
Six jours entiers, on peut s'payer
D'un cœur léger, un' fin d'semaine
Si par hasard et sans manières
Le coup d'béguin venait bientôt
Ell's se donnaient, c'était sincère
Ah ! c'que les femmes ont pu me plaire
Et c'que j'ai plu ! J'étais si beau !
Faudrait pouvoir fair' marche arrière
Comme on l'fait pour danser l'tango !

Des tangos, y'en avait des tas
Mais moi j'préférais " Violetta "
C'est si joli quand on le chante
Surtout quand la boul' de cristal
Balance aux quatre coins du bal
Tout un manèg' d'étoil's filantes
Alors, c'était plus Valentine
C'était plus Loulou, ni Margot
Dont je serrais la taille fine
C'était la rein' de l'Argentine
Et moi j'étais son hidalgo
Oeil de velours et main câline
Ah ! c'que j'aimais danser l'tango !

Mais doucement passent les jours
Adieu, la jeunesse et l'amour
Les petit's mômes et les " je t'aime "
On laiss' la place et c'est normal
Chacun son tour d'aller au bal
Faut pas qu'ça soit toujours aux mêmes
Le cœur, ça se dit : corazon
En espagnol dans les tangos
Et dans mon cœur, ce mot résonne
Et sur le boul'vard, en automne
En passant près du Mikado
Je n'm'arrêt' plus, mais je fredonne
C'était bath, le temps du tango !


Paris canaille

Paris marlou
Aux yeux de fille
Ton air filou
Tes vieill's guenilles
Et tes gueulant's
Accordéon
Ça fait pas d' rent's
Mais c'est si bon
Tes gigolos
Te déshabillent
Sous le métro
De la Bastille
Pour se sôuler
A tes jupons
Ça fait gueuler
Mais c'est si bon

Brins des Lilas
Fleurs de Pantin
Ça fait des tas
De p'tits tapins
Qui font merveille
En tout' saison
Ça fait d' l'oseille
Et c'est si bon
Dédé-la-croix
Béhert d'Anvers
Ça fait des mois
Qu'ils sont au vert
Alors ces dames
S' font un' raison
A s' font bigames
Et c'est si bon

Paris bandit
Aux mains qui glissent
T' as pas d'amis
Dans la police
Dans ton corsage
De néon
Tu n'es pas sage
Mais c'est si bon
Hold-up savants
Pour la chronique
Tractions avant
Pour la tactique
Un p'tit coup sec
Dans l' diapason
Rang' tes kopecks
Sinon t' es bon

A la la une
A la la deux
Fil' moi trois thunes
J' te verrai mieux
La tout' dernière
Des éditions
T' es en galère
Mais c'est si bon
A la la der
A la la rien
T' es un gangster
A la mie d' pain
Faut être adroit
Pour fair' carton
La prochain' fois
Tu s'ras p' têt' bon

Paris j'ai bu
A la voix grise
Le long des rues
Tu vocalises
Y'a pas d'espoir
Dans tes haillons
Seultment l' trottoir
Mais c'est si bon
Tes vagabonds
Te font des scènes
Mais sous tes ponts
Coule la Seine
Pour la rornance
A illusion

Y'a d' l'affluence
Mais c'est si bon

Môm's égarées
Dans les faubourgs
Prairie pavée
Où pouss' l'amour
Ça pousse encore
A la maison
On a eu tort
Mais c'est si bon
Regards perdus
Dans le ruisseau
Où va la rue
Comme un bateau
Ça tangue un peu
Dans l'entrepont
C'est laborieux
Mais c'est si bon

Paris je prends
Au coeur de pierre
Un compt' courant
Des bell's manières
Un coup d' chapeau
A l'occasion
Il faut c' qui faut
Mais c'est si bon
Des sociétés
Très anonymes
Un député
Que l'on estime
Un p'tit mann'quin
En confection
C'est pas l' bais' main
Mais c'est si bon

Pass' la monnaie
V'là du clinquant
Un coup d' rabais
And gentleman
Un carnet d' chèque
Sans provision
Faut faire avec
Mais c'est si bon
Un p'tit Faubourg
Saint Honoré
Trois petits fours
Et je m'en vais
Surpris' party
Surpris' restons
On est surpris
Mais c'est si bon

Paris flon flon
T' as l'âme en fête
Et des millions
Pour tes poètes
Quelques centimes
A ma chanson
Ça fait la rime
Et c'est si bon



Le piano du pauvre


Le piano du pauvre
Se noue autour du cou
La chanson guimauve
Toscanini s'en fout
Mais il est pas chien
Et le lui rend bien
Il est éclectique
Sonate ou java
Concerto polka
Il aime la musique

Le piano du pauvre
C'est le Chopin du printemps
Sous le soleil mauve
Des lilas de Nogent
Il roucoule un brin
A ceux qui se plaisent bien
Et fait des avances
Ravel ou machin
C'est déjà la fin
Mais voilà qu'y recommence

Le piano du pauvre
Se noue autour des reins
Sa chanson guimauve
Ça va toujours très loin
Car il n'est pas chien
Toujours il y revient
Il a la pratique
C'est pour ça d'ailleurs
Que les histoires de coeur
Finissent en musique

Le piano du pauvre
Est un joujou d'un sou
Quand l'amour se sauve
Y'a pas que lui qui s'en fout
Car on n'est pas chien
On le lui rend bien
On est électique
Jules ou bien machin
C'est déjà la fin
Mais voilà qu'on y repique

Le piano du pauvre
C'est pas qu'il est voyou
La chanson guimauve
On en prend tous un coup
Car on n'est pas chien
On a les moyens
Et le coeur qui plisse
Quand Paderewsky
Tire de son étui
L'instrument de service

Le piano du pauvre
N'a pas fini de jacter
Sous le regard fauve
Des rupins du quartier
Pendant que les barbus
Du vieil Institut
Posent leurs besicles
Pour entendre au loin
Le piano moulin
Qui leur fait l'article

Le piano du pauvre
Dans sa boîte à bobards
Se tape un air guimauve
En se prenant pour Mozart
S'il a l'air grognon
Et joue sans façons
Des javas perverses
C'est qu'il est pas chien
Et puis qu'il faut bien

Faire marcher le commerce..



Les poètes

Ce sont de drôles de types qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c'est selon la saison
Ce sont de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons

Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Les sous dans les bouquins qu'ils n'ont jamais vendus
Leur femme est quelque part au bout d'une rengaine
Qui nous parle d'amour et de fruit défendu

Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l'alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air

Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié
Avec dans le museau la fidèle lumière
Qui les conduit vers les pays d'absurdité

Ce sont des drôles de types qui regardent les fleurs
Et qui voient dans leurs plis des sourires de femme
Ce sont de drôles de types qui chantent le malheur
Sur les pianos du cœur et les violons de l'âme

Leurs bras tout déplumés se souviennent des ailes
Que la littérature accrochera plus tard
A leur spectre gelé au-dessus des poubelles
Où remourront leurs vers comme un effet de l'Art

Ils marchent dans l'azur la tête dans les villes
Et savent s'arrêter pour bénir les chevaux
Ils marchent dans l'horreur la tête dans des îles
Où n'abordent jamais les âmes des bourreaux

Ils ont des paradis que l'on dit d'artifice
Et l'on met en prison leurs quatrains de dix sous
Comme si l'on mettait aux fers un édifice

Sous prétexte que les bourgeois sont dans l'égout





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