Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais,
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.
C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissone aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l'approche des hivers.
C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissé mûrir !
Quoique jeune sur la terre
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
"Où sont ceux que ton cœur aime ?"
Je regarde le gazon.
C'est un ami de l'enfance
Qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre cœur ;
Il n'est plus : notre âme est veuve
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
"Ami si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié ?"
C'est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau,
N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau ;
Triste, hélas ! dans le ciel même,
Pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas,
Et lui dit :" Ma tombe est verte !
Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu ? Je n'y suis pas !"
C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant ;
C'est une sœur, c'est un frère
Qui nous devance un moment,
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour où l'autre ravie,
Emporte une part de nous,
Semblent dire sous la pierre :
"Vous qui voyez la lumière,
De nous vous souvenez-vous ?"
Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais,
Voilà l'enfant des chaumière
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.
Pensée des morts - poème Alphonse De Lamartine
Chantée par Brassens en 1969
Brassens a réduit à sept strophes le poème éliminant de cette prière toutes les références à Dieu et sa "Gloire céleste".
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