Le chanteur, décédé à l'âge de 94 ans, reste l'un des très rares chanteurs français à avoir conquis l'Amérique. Outre-Atlantique, les artistes américains le respectaient pour sa maîtrise de l'anglais, son talent scénique et sa popularité auprès des diasporas.
Maurice Chevalier et Édith Piaf y ont eu leur heure de gloire, mais depuis un demi-siècle, il n'y avait que «The Last Chanteur», comme l'appelait le New York Times, pour remplir des salles aussi fréquemment aux États-Unis. Entre sa première prestation au Carnegie Hall en mars 1963, qu'il avait ce soir-là loué à ses frais, et sa dernière en 1999, Charles Aznavour a chanté 46 fois dans la prestigieuse salle new-yorkaise.
Il a également fréquenté de nombreux autres lieux de renom à New York, comme le Theater at Madison Square Garden ou le Radio City Music Hall, et donné près d'une centaine de concerts au total. «Je n'avais vu qu'Ella Fitzgerald et Frank Sinatra recueillir de tels applaudissements et susciter un tel attachement du public», raconte à l'AFP Gino Francesconi, qui travaillait à l'époque, dans les années 1970, en coulisses au Carnegie Hall.
«Quand il montait sur scène, la salle était à lui, comme Sinatra, se souvient celui qui est aujourd'hui directeur des archives du lieu. Ils étaient très similaires dans la manière dont le public réagissait à eux et dont ils réagissaient à lui.»
Bob Dylan «retourné»
Bien qu'ayant écrit ou traduit plusieurs dizaines de ses chansons en anglais, et malgré les nombreux duos enregistrés avec des vedettes américaines, Charles Aznavour n'a jamais vendu beaucoup de disques aux États-Unis. She, sans doute son titre le plus connu dans la langue de Shakespeare, n'est même jamais entré dans le classement des 100 meilleures ventes à sa sortie, en 1974.
«Il n'était certainement pas grand public» aux États-Unis, estime Scott Gorenstein, longtemps attaché de presse de Liza Minnelli, grande amie de Charles Aznavour. «Et si vous connaissiez Charles Aznavour ici aux États-Unis, cela voulait dire que vous vous intéressiez à une certaine catégorie de musique et que vos goûts étaient un peu plus raffinés» que la moyenne, selon lui.
Outre la communauté française aux États-Unis, Shahnourh Varinag Aznavourian selon son nom d'état civil, y a bénéficié du soutien de la diaspora arménienne, et au-delà. «Quand j'étais petit, il y avait les Beatles, Billy Joel, tous les artistes populaires durant les années 1970, et aussi ses disques à la maison, se remémore Danny Deraney, qui dirige l'agence de relations publiques Deraney Public Relations et dont la mère est d'origine arménienne. Mais personne dans mon cercle d'amis ne savait qui il était.»
«Lorsque beaucoup de Libanais ont fui durant les années 1970 pour venir en Amérique, sa musique était la chose qu'ils avaient en commun», décrit M. Deraney, dont le père est d'origine libanaise. «Il a été capable d'avoir un écho dans tellement de pays différents et de chanter ses chansons dans leur langue», dit-il. «Cela vous montre le genre de virtuose et de personnalité qu'il était». Assis sur cette notoriété auprès de franges du public américain, Charles Aznavour a bénéficié selon lui du «bouche-à-oreille», bien alimenté par des artistes américains de premier plan, pour élargir son audience.
Frank Sinatra, Liza Minnelli et Bob Dylan ont tous dit le respect qu'ils avaient pour ce géant de 1,60 m. «Je l'ai vu au Carnegie Hall et il m'a retourné la tête», expliquait le Nobel de littérature dans un entretien au magazine Rolling Stone en 1987. Lundi, Liza Minnelli, Barbra Streisand, Quincy Jones, Josh Groban ou encore Lenny Kravitz lui ont rendu un hommage appuyé. «Liza parlait de Charles tout le temps. Tout le temps, explique l'ancien attaché de presse de la chanteuse, Scott Gorenstein. Elle adorait sa façon de raconter des histoires dans ses chansons. (...) C'est ce qu'elle a appris de lui.»
Une invitation au Muppet Show en 1976, une étoile sur Hollywood Boulevard en 2017: quelques signes montrent que Charles Aznavour s'est finalement bien inscrit, au fil du temps, dans la culture populaire américaine. «Je ne sais pas qui d'autre faisait ce qu'il faisait, s'interroge M. Gorenstein. Est-ce qu'on le voit chez d'autres aujourd'hui? Non, mais je pense qu'il a toujours été unique».
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