jeudi 19 décembre 2024

À toi · Léo Ferré


Léo Ferré

                            



À toi

La forêt qui s’élance au ciel comme une verge Les serments naufragés qui errent sur la berge Les oiseaux dénoncés que le chasseur flamberge Les diamants constellés qui fuient les pâles couches Tous les yeux de la rue qui crèvent sur ta bouche Le pavé que tu foules et ma voix que tu touches Les amants accolés muets comme la cire Les culottes des femmes où le monde se mire Les fauves repentis qui rendent des martyrs Le ventre des pendus qui coule des potences Les noces pathétiques où les larmes sont rances Les émigrants qui n’ont jamais de pain d’avance Les mains transfigurées qui règlent la tzigane Baudelaire et Shakespeare au chevet des profanes Les chevaux condamnés et leur dernière avoine La voix pour commander à mille couturières Un lit avec le Parthénon comme litière Le catéchisme de la joie la vie entière Des violons barrissant les complaintes futures Des tonnes de crachats sur la Critiquature Le vent du large et des bûchers pour les clôtures Des langues pour parler aux Chinois faméliques Des poumons pour souffler au ventre des phtisiques Des javas pour brouiller les chants patriotiques Le ruisseau qui jouit jusqu’au Havre sans trêve Le malheureux le chien qui meurt l’homme qui crève Le sang des femmes qui sont mortes sans un rêve Les cheveux élagués qui cherchent des caresses Le remord amical du prêtre qui confesse Les yeux des tout-petits riboulant de tendresse L’orgue de la nature au souffle de violettes Les rendez-vous mystérieux sous la voilette Le numéro que tu voulais à la roulette Les portes de secours battant sur les étoiles Les Vendredis des Robinsons des capitales La boussole des veuves aveugles sous leur voile Le vain espoir des mitraillés sous la mitraille La poitrine qui bat sous les pâles médailles Les Jésus désertant le fruit de tes entrailles Les dentelles flottant au nez de la misère Le loup blessé à mort qu’on regarde se taire Le chant du coq et le silence de saint Pierre Les cœurs déchiquetés qui parlent aux fantômes Les gens de bien qui ont désintégré l’atome Le Capital qui joue aux dés Notre Royaume ET PUIS le majuscule ennui qui nous sclérose Mon pauvre amour car nous pensons les mêmes choses En attendant que l’Ange nous métamorphose













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