mardi 6 février 2024

Georges Brassens - Le Grand Chêne (live à Bobino, 1969)





                            


 Le Grand Chêne


Il vivait en dehors des chemins forestiers
Ce n'était nullement un arbre de métier
Il n'avait jamais vu l'ombre d'un bûcheron
Ce grand chêne fier sur son tronc

Il eût connu des jours filés d'or et de soie
Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient
Des roseaux mal pensant, pas même des bambous
S'amusant à le mettre à bout

Du matin jusqu'au soir ces petit rejetons
Tout juste canne à pêche, à peine mirlitons
Lui tournant tout autour chantaient, in extenso
L'histoire du chêne et du roseau

Et, bien qu'il fût en bois, les chênes, c'est courant
La fable ne le laissait pas indifférent
Il advint que lassé d'être en but aux lazzi
Il se résolu à l'exil

À grand-peine il sortit ses grands pieds de son trou
Et partit sans se retourner ni peu ni prou
Mais, moi qui l'ai connu, je sais bien qu'il souffrit
De quitter l'ingrate patrie

À l'orée des forêts, le chêne ténébreux
A lié connaissance avec deux amoureux
Grand chêne laisse-nous sur toi graver nos noms
Le grand chêne n'a pas dit non

Quand ils eurent épuisé leur grand sac de baisers
Quand, de tant s'embrasser, leurs becs furent usés
Ils ouïrent alors, en retenant des pleurs
Le chêne contant ses malheurs

Grand chêne, viens chez nous, tu trouveras la paix
Nos roseaux savent vivre et n'ont aucun toupet
Tu feras dans nos murs un aimable séjour
Arrosé quatre fois par jour

Cela dit, tous les trois se mirent en chemin
Chaque amoureux tenant une racine en main
Comme il semblait content, comme il semblait heureux
Le chêne entre ses amoureux

Au pied de leur chaumière, ils le firent planter
Ce fut alors qu'il commença de déchanter
Car, en fait d'arrosage, il n'eut rien que la pluie
Des chiens levant la patte sur lui

On a pris tous ses glands pour nourrir les cochons
Avec sa belle écorce on a fait des bouchons
Chaque fois qu'un arrêt de mort était rendu
C'est lui qui héritait du pendu

Puis ces mauvaises gens, vandales accomplis
Le coupèrent en quatre et s'en firent un lit
Et l'horrible mégère ayant des tas d'amants
Il vieillit prématurément

Un triste jour, enfin, ce couple sans aveu
Le passa par la hache et le mit dans le feu
Comme du bois de caisse, amère destinée
Il périt dans la cheminée

Le curé de chez nous, petit saint besogneux
Doute que sa fumée s'élève jusqu'à Dieu
Qu'est-ce qu'il en sait, le bougre, et qui donc lui a dit
Qu'y a pas de chêne en paradis
Qu'y a pas de chêne en paradis

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