jeudi 3 décembre 2020

Mort d’Anne Sylvestre : “Les Gens qui doutent”, “Juste une femme”… dix de ses plus grandes chansons

 


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Mort d’Anne Sylvestre : “Les Gens qui doutent”, 

“Juste une femme”… 

dix de ses plus grandes chansons 

L’artiste, qui vient de mourir à l’âge de 86 ans, a écrit et composé des centaines de chansons, pour enfants mais aussi pour adultes, où les femmes, notamment, avaient toute leur place. Parmi celles-ci figurent plusieurs chefs-d’œuvre du répertoire français. Car oui, Anne Sylvestre était bien de cette trempe-là. Démonstration en dix titres inoubliables.


Valérie Lehoux

Publié le 01/12/20 mis à jour le 03/12/20



Nous en avons choisi dix… Nous aurions pu en prendre vingt, ou trente, tant le répertoire d’Anne Sylvestre est l’un des plus riches et des plus beaux de la chanson française. Curieusement méconnu, mais à la hauteur de ceux de Barbara, Brassens, Brel. Les chansons que nous avons retenues ici sont poétiques, drôles, politiques… Beaucoup évoquent la situation de la femme, aujourd’hui comme hier, sujet qui lui tenait particulièrement à cœur et qu’elle chanta mieux que personne.

“Une sorcière comme les autres”

1975 – album : Une sorcière comme les autres
Plus qu’une chanson, c’est un monument du répertoire français, traversé par un souffle autant intime que politique. Anne Sylvestre disait elle-même avoir eu la sensation que le texte, écrit d’une traite ou presque, lui avait été dicté par une force supérieure. L’inspiration poétique et la nécessité. Ceux qui connaissent son parcours y entendront des échos discrets de sa propre histoire, le frère mort sous un bombardement, le père emprisonné après la guerre... Chanson à la fois donc personnelle et universelle, à la gloire de toutes les femmes. L’ancienne ministre de la Culture, l’éditrice Françoise Nyssen, ne manque pas une occasion de dire que c’est sa chanson préférée.

“Petit Bonhomme”

1977 – album : Comment je m’appelle
Son écriture pouvait être aussi poétique qu’ironique. Petit Bonhomme est un bijou du genre, petite fable féministe sur des airs faussement désuets de menuet, qui met en scène un homme naviguant entre son épouse, ses maîtresses, sa maman… Il se croit le maître du jeu, mais une fois que les femmes le démasquent, devinez qui l’emporte ?

“Carcasse”

1981 – album : Dans la vie en vrai
Alors qu’elle approche de la cinquantaine, Anne Sylvestre, d’ordinaire si pudique dans ses écrits, se dévoile comme rarement dans un dialogue intérieur avec cette « carcasse », qui lui valut jadis bien des complexes. Cheminement délicat de son propre rapport au corps, celui de la petite fille qu’elle fut, de l’adolescente, de la jeune femme, puis de l’adulte. À travers lui, c’est son regard sur le monde qui se dessine. Sur le temps qui passe, et la mort qui viendra.

“La Faute à Ève”

1979 – album : J’ai de bonnes nouvelles
Encore un délice d’ironie, qui dépeint les relations hommes-femmes à l’aune... de celles d’Ève et d’Adam. Car ils remontent à loin, nos rapports bancals et pas franchement égalitaires, qui imputent tant de fautes au sexe soit disant faible... « C’est la faute à Ève, il a rien fait lui Adam », y sourit la chanteuse, dans une interprétation sautillante qui ne dédaigne pas quelques effets théâtraux appuyés. La Faute à Ève a plus de quarante ans… mais son actualité ravira les jeunes féministes.

“Les Gens qui doutent”

1977 – album : Comment je m’appelle
Peut-être sa chanson la plus connue... Ce qui avait le don de l’énerver – « On me parle sans cesse de celle-ci alors que j’en ai écrit des dizaines d’autres ! » Sous ses airs râleurs qui lui allaient si bien, Anne Sylvestre savait pourtant très bien à quel point ses Gens qui doutent touchaient au plus juste et savaient bouleverser. Elle fut reprise par Vincent Delerm ou Jeanne Cherhal. utilisée aussi par Christophe Honoré dans son film Plaire, aimer et courir vite (2018). Une ode humaniste grandiose et à jamais indémodable, dédiée à tous ceux qui ne s’étouffent pas de certitudes…

“Mousse”

1968 – album : Mousse
Que nous dit cette chanson-là ? Mystérieuse et d’une grande audace stylistique, Anne Sylvestre s’y joue des phrases et de la versification classique qu’elle manie si bien, pour un collage de mots, d’images, de sensations. Chanson impressionniste pétrie de désirs, de peurs, d’envols et de reculs, Mousse est une merveille de suggestion et de sensualité. Ses pleins et déliés ressemblent aux mouvements intimes de deux êtres qui s’observent et se mêlent. Chacun pourra y voir ce qu’il désire.

“Non tu n’as pas de nom”

1974 – album : Les Pierres dans mon jardin
Dans la France de cette année-là, l’avortement est illégal. La chanson, elle, existe depuis plusieurs mois (certaines sources la créditent en 1973). Autant dire que son propos n’a rien d’anodin : avec gravité, une femme s’adresse à l’enfant que, peut-être, elle n’aura pas... si elle en décide ainsi. Surnommée « chanson sur l’avortement », Anne Sylvestre corrigeait toujours : « C’est une chanson sur le choix. » La liberté ou pas d’enfanter. Elle fut chantée lors de manifestations pour l’IVG ; elle est reconnue par les féministes comme une chanson fédératrice, importante. Parfois, un hymne.

“Juste une femme”

2013 – album : Juste une femme
Remarquable Anne Sylvestre qui, à près de 80 ans, et dans son dernier album studio, restait ancrée dans son temps, toujours aussi sensible au sort des femmes. Elle écrit cette chanson dans la foulée de « l’affaire DSK », et ne le cache pas aux journalistes qui l’interviewent alors. Soulignant sa colère face à tous ceux qui relativisent la gravité des agressions sexuelles. Le texte d’Anne Sylvestre ne dit pas autre chose que cette profonde indignation et ce ras-le-bol phénoménal que partageront quatre ans plus tard des dizaines de milliers de femmes, lors de la déferlante #Metoo.

“Le Lac Saint-Sébastien”

2000 – album : Partage des eaux
Ils sont de plus en plus nombreux, philosophes et environnementalistes, à demander la reconnaissance d’un statut juridique pour les rivières, les lacs, les forêts... Mais bien avant que ces considérations n’occupent le débat public, Anne Sylvestre faisait chanter le lac Saint-Sébastien, en écho à l’un des livres de son amie, la féministe québécoise Hélène Pedneault. Dans la voix douce de la chanteuse, le lac se pare d’une âme et regarde avec circonspection ces humains aux bien curieux comportements. On l’ignore trop souvent, mais Anne Sylvestre a signé le plus beau manifeste écolo de la chanson française.

“Un mur pour pleurer”

1973 – album : Les Pierres dans mon jardin
Un jour d’interview, il y a une bonne dizaine d’années, on avait tenté : « Pourquoi ne reprenez-vous plus sur scène Un mur pour pleurer ? » Sans surprise, elle avait maugréé. Elle n’avait plus que faire de ce vieux titre, son côté plaintif l’insupportait ; il valait mille fois mieux regarder le présent et écouter les nouvelles chansons. Certes, mais Un mur pour pleurer restera, quoi qu’elle en pensait, l’une des plus jolies pièces du répertoire d’Anne Sylvestre. Dans les années 1970 qui commençaient, elle y pointait les faux-semblants de l’époque… qui n’ont guère changé depuis. Si ce n’est qu’aujourd’hui, alors que disparaît l’une des plus grandes artistes que la chanson ait jamais portées, nous avons une raison de plus pour pleurer.

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