lundi 21 octobre 2024

Épilogue - Jean Ferrat




                

 




                                    Epilogue 



La vie aura passé comme un grand château
Triste que tous les vents traversent
Les courants d'air claquent les portes et
Pourtant aucune chambre n'est fermée
Il s'y assied des inconnus pauvres et
Las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien
Qu'on n'en peut plus baisser la herse

Quand j'étais jeune on me racontait que
Bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j'y ai cru comme j'y ai cru
Puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une
Mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu'il en reste aux
Vieillards est trop lourd
Et trop court que pour eux le vent change

J'écrirai ces vers à bras
Grands ouverts qu'on
Sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et
Ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on
Voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui
Bat et rebat sa faux comme plâtre

Je vois tout ce que vous avez devant
Vous de malheur de sang de lassitude
Vous n'aurez rien appris de nos illusions
Rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous
Devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre
Front je vois le pli des habitudes

Bien sûr bien sûr vous me direz que
C'est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts
Vivants leurs mains de chair dans l'engrenage
Pour que cela change et songez à ceux
Qui ne discutaient même pas leur cage
Est-ce qu'on peut avoir le droit au désespoir
Le droit de s'arrêter un moment

J'écrirai ces vers à bras
Grands ouverts qu'on
Sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et
Ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on
Voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui
Bat et rebat sa faux comme plâtre

Songez qu'on arrête jamais de se battre et
Qu'avoir vaincu n'est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du
Moment que l'homme de l'homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses
Mais il y en eut d'épouvantables
Car il n'est pas toujours facile de savoir où
Est le mal où est le bien

Et vienne un jour quand vous aurez sur
Vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu
Cela que d'autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l'Acropole
Et qu'on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans
La fosse commune de l'histoire

J'écrirai ces vers à bras
Grands ouverts qu'on
Sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et
Ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on
Voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui
Bat et rebat sa faux comme plâtre

Je ne dis pas cela pour démoraliser
Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant
N'est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l'entendre qui renaît
Comme l'écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter
Et le drame est l'ensemble des chants

Le drame il faut savoir y tenir sa
Partie et même qu'une voix se taise
Sachez le toujours le choeur profond
Reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu'au bout de lui-même Le
Chanteur a fait ce qu'il a pu
Qu'importe si chemin faisant vous allez
M'abandonner comme une hypothèse

J'écrirai ces vers à bras
Grands ouverts qu'on
Sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et
Ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on
Voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui
Bat et rebat sa faux comme plâtre


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