mardi 26 novembre 2024

Il n'y a plus rien (Live Olympia, Novembre 1972) - Léo Ferré

Léo Ferré



                          


Provided to YouTube by Universal Music Group

Il N'Y A Plus Rien


Chanson de

Écoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, comme le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture
Immobilité... L'immobilité, ça dérange le siècle
C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti
C'est vraiment con, les amants
Il n'y a plus rien
Camarade maudit, camarade misère
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu'elle accrochait dans les buissons pour y aller de sa progéniture
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des chiens
Camarade tranquille, camarade prospère
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un dans ton lit
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée
Tu pourras lui dire: "Dis, t'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence
Dis, t'as pas honte? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs?
Espèce de conne!
Et barre-toi!
Divorce-la
Te marie pas!
Sinon t'es coincé
Tu peux tout faire
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la conservation du titre
Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir!
Il n'y a plus rien, il n'y a plus rien
Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre
Il en a marre qu'on lui dise: " Sale blanc!"
A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Était bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs!
Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, t'es peinard, anonyme, Citoyen!
Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du reste
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant
Les mots... toujours les mots, bien sûr!
Citoyens! Aux armes!
Aux pépées, Citoyens! A l'Amour, Citoyens!
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos ainés!
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup d'aile d'oiseau ne les entame même pas... C'est vous dire!
Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien
Il n'y a plus rien
Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes!
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça!
Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi!
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
A l'encyclopédie, les mots!
Et nous partons avec nos cris!
Et voilà!
Il n'y a plus rien... plus, plus rien
Je suis un chien?
Perhaps!
Je suis un rat
Rien
Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue
Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue
Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des gens
"Apprends donc à te coucher tout nu!
"Fous en l'air tes pantoufles!
"Renverse tes chaises!
"Mange debout!
"Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principes"
Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle révolte, alors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres et les bêtes et détourne-toi du conforme et de l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien
Il n'y a plus rien
Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit!
Surtout au soleil, même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de leur inspiration
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le certificat d'études et le catéchisme ombilical
Ils te tairont, les gens
Les gens taisent l'autre, toujours
Regarde, à table, quand ils mangent
Ils s'engouffrent dans l'innommé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et le rot ponctuel!
La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des réacteurs abdominaux, comme à l'atterrissage: on rote et on arrête le massacre
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu se souvenant du frichti, de l'organe, du repu
Nos plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée
Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons!
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais?
Heureusement il y a le lit: un parking!
Et puis, c'est comme à la roulette: on mise, on mise
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser quand même
Je comprends les joueurs: ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre
Et ils mettent, ils mettent
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette
Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir
Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé
Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux
Dans nos bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination
Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
On l'enterra de mémoire
Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit!
Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques rien à la frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches
Tout dans la tronche!
- Vous n'avez rien à déclarer?
- Non
- Comment vous nommez-vous?
- Karl Marx
- Allez, passez!
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt, nous nous trouverons démunis, seuls, avec nos projets d'imagination dans le passé
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlote ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule
Écoutez-les
Toutes des concierges!
Il n'y a plus rien, plus plus rien
Si les morts se levaient?
Hein?
Nous étions combien?
Ça ira, ça ira, ça ira, ça ira, ça ira, ça ira
La tristesse, toujours la tristesse
Ils chantaient
Dans les rues
Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve
Ne vote pas
O DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté
Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire
Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Lève-toi, il est tôt. Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras, tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça se fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras tes yeux de fille et rentreras dedans
Regarde tes yeux en-dedans de toi
Quand tu auras outrepassé ta vision
Alors tu verras rien
Il n'y a plus rien
Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux à qui tu pourras dire
Monsieur!
Madame!
Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner VOS sous
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses
Et vous comptez vos sous?
Pardon... LEURS sous!
Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs
Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous regarder tels que vous êtes
Encravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui descend
Des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
A un point donné
Et à heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
Tellement vous êtes beaux
Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs et qui racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur et nivellateur qui empêche toute identification
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les champions de l'anonymat
Les révolutions? Parlons-en!
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent
Parce qu'elles vous ont toujours servis
Ces révolutions qui sont de "l'histoire"
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous intéresser
Et quand ça vous intéresse, on vous dit qu'il est trop tard, qu'il s'en prépare une autre
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d'exilés, dans un pays sûr entouré du prestige des déracinés
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue", comme vous dites, à un "ordre nouveau" comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et on vous salue
Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas?
Et ces "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous dérangent aussi, on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les "vôtres" dans un drapeau
Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras!
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis
Vous avez le style du pouvoir
Vous vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés
De peur de quitter votre stature, de peur qu'on vous montre du doigt, dans les corridors de l'ennui, et qu'on se dise: "Tiens, il baisse, il va finir par se plier, par ramper"
Soyez tranquilles! Pour la reptation, vous êtes imbattables; seulement, vous ne vous la concédez que dans la métaphore
Vous voulez bien vous allonger mais avec de l'allure
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire
Dans votre grand monde
A la coupe des bien-pensants
Moi, je suis un bâtard
Nous sommes tous des bâtards
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre congé
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien
Il n'y a plus rien
Et ce rien, on vous le laisse!
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez
Nous, on peut pas
Un jour, et bientôt
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles
Le sourire des bêtes enfin détraquées
La priorité à Gauche, permettez!
Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout
Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer, montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos règlements d'administration pénitentiaire
Tous ces microbes juridiques aux pantoufles
Soyez tranquilles
Nous avons déjà des machines pour les révoquer
NOUS AURONS TOUT
Demain matin!
Quand tu rentre chez toi, je parle à chacun de vous, quand tu rentre chez toi tu es seul
C'est pas une connerie c'est vrai
Quand tu rentre chez toi, ne prends pas des habitudes
Avant de faire la révolution dans la rue il faut la faire dans la tête, c'est pour ça qu'on la fait pas dans la rue!
Et n'oublie pas, n'oublie pas ce que je vais te dire. Tous les jours, tous les jours, tous les jours sans t'arrêter sans t'arrêter ordonne toi en parlant à n'importe qui
Même avec un mec avec qui tu dois prendre des circonlocutions particulières
Dis-toi bien une chose, toi tout seul, le pouvoir, d'où qu'il vienne c'est vraiment de la merde!







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire