vendredi 24 octobre 2025

Les poètes de sept ans - Léo Ferré





                                

Et la Mère, fermant le livre du devoir S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences L’âme de son enfant livrée aux répugnances Tout le jour il suait d’obéissance; très Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies En passant il tirait la langue, les deux poings A l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté A se renfermer dans la fraîcheur des latrines Il pensait là, tranquille et livrant ses narines Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s’illunait Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son œil darne Il écoutait grouiller les galeux espaliers Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots Conversaient avec la douceur des idiots! Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes Sa mère s’effrayait; les tendresses, profondes De l’enfant se jetaient sur cet étonnement C’était bon. Elle avait le bleu regard, qui ment! A sept ans, il faisait des romans sur la vie Du grand désert, où luit la Liberté ravie Forêts, soleils, rives, savanes! Il s’aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes Huit ans, la fille des ouvriers d’à côté La petite brutale, et qu’elle avait sauté Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses Car elle ne portait jamais de pantalons Et, par elle meurtri des poings et des talons Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre Il craignait les blafards dimanches de décembre Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou Il lisait une Bible à la tranche vert-chou Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve Il n’aimait pas Dieu; mais les hommes, qu’au soir fauve Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour Font autour des édits rire et gronder les foules Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or Font leur remuement calme et prennent leur essor! Et comme il savourait surtout les sombres choses Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes Haute et bleue, âcrement prise d’humidité Il lisait son roman sans cesse médité Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées De fleurs de chair aux bois sidérals déployées Vertige, écroulements, déroutes et pitié! Tandis que se faisait la rumeur du quartier En bas, seul, et couché sur des pièces de toile Écrue, et pressentant violemment la voile!


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