lundi 14 novembre 2022

Les trompettes de la renommée - Georges Brassens

 

                          



Les trompettes de la renommée
Georges Brassens
Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique
Refusant d'acquitter la rançon de la gloire
Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir
Les gens de bon conseil ont su me faire comprendre
Qu'à l'homme de la rue, j'avais des comptes à rendre
Et que, sous peine de choir dans un oubli complet
J'devais mettre au grand jour tous mes petits secrets
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Manquant à la pudeur la plus élémentaire
Dois-je, pour les besoins d'la cause publicitaire
Divulguer avec qui, et dans quelle position
Je plonge dans le stupre et la fornication
Si je publie des noms, combien de Pénélopes
Passeront illico pour de fieffées salopes
Combien de bons amis me regarderont de travers
Combien je recevrai de coups de revolver
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
À toute exhibition, ma nature est rétive
Souffrant d'une modestie quasiment maladive
Je ne fais voir mes organes procréateurs
À personne, excepté mes femmes et mes docteurs
Dois-je, pour défrayer la chronique des scandales
Battre l'tambour avec mes parties génitales
Dois-je les arborer plus ostensiblement
Comme un enfant de chœur porte un saint sacrement
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Faire mes quat' voluptés dans ses quartiers d'noblesse
M'a sournoisement passé, sur son divan de soie
Des parasites du plus bas étage qui soit
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame
Ai-je le droit de ternir l'honneur de cette dame
En criant sur les toits, et sur l'air des lampions
"Madame la marquise m'a foutu des morpions"
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le Père Duval, la calotte chantante
Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumène
Il me laisse dire "Merde", je lui laisse dire "Amen"
En accord avec lui, dois-je écrire dans la presse
Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d'ma maîtresse
Chantant la mélopée d'une voix qui susurre
Tandis qu'elle lui cherchait des poux dans la tonsure
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Avec qui, ventrebleu faut-il donc que je couche
Pour faire parler un peu la déesse aux cent bouches
Faut-il qu'une femme célèbre, une étoile, une star
Vienne prendre entre mes bras, la place de ma guitare
Pour exciter le peuple et les folliculaires
Qui est-c'qui veut me prêter sa croupe populaire
Qui est-c'qui veut m'laisser faire, in naturalibus
Un petit peu d'alpinisme sur son mont de Vénus
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Sonneraient-elles plus fort, ces divines trompettes
Si, comme tout un chacun, j'étais un peu tapette
Si je me déhanchais comme une demoiselle
Et prenais tout à coup des allures de gazelle
Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles
De jouer le jeu d'l'amour en inversant les rôles
Qu'ça confère à ma gloire une once de plus-value
Le crime pédérastique, aujourd'hui, ne paie plus
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées
Après c'tour d'horizon des mille et une recettes
Qui vous valent à coup sûr les honneurs des gazettes
J'aime mieux m'en tenir à ma première façon
Et me gratter le ventre en chantant des chansons
Si le public en veut, je les sors dare-dare
S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare
Refusant d'acquitter la rançon de la gloire
Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir
Trompettes de la renommée
Vous êtes bien mal embouchées

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