dimanche 2 novembre 2025

Les 12 Premières Chansons de Léo Ferré ( Audios et paroles)




                        


J'habite à Saint-Germain-des-Prés
Et chaque soir j'ai rendez-vous
Avec Verlaine
Ce vieux Pierrot n'a pas changé
Et pour courir le guilledou
Près de la Seine
Souvent on est flanqué
D'Apollinaire
Qui s'en vient musarder
Chez nos misères
C'est bête,
On voulait s'amuser,
Mais c'est raté
On était trop fauchés.
Regardez-les tous ces voyous
Tous ces poètes de deux sous
Et les teints blême
Regardez-les tous ces fauchés
Qui font semblant de ne jamais
Finir la semaine
Ils sont riches à crever,
D'ailleurs ils crèvent
Tous ces rimeurs fauchés
Font bien des rêves
Quand même,
Ils parlent le latin
Et n'ont plus faim
A Saint-Germain-des-Prés.
Vous qui passez rue de l'Abbaye,
Rue Saint-Benoît, rue Visconti,
Près de la Seine
Regardez le monsieur qui sourit
C'est Jean Racine ou Valéry
Peut-être Verlaine
Alors vous comprendrez
Gens de passage
Pourquoi ces grands fauchés
Font du tapage
C'est bête,
Il fallait y penser,
Saluons-les
A Saint-Germain-des-Prés.



              

 1946 Tu ne m'as pas dit
Que les guitares de l'exil
Sonnaient parfois comme un clairon
Toi mon ami l'Espagnol de la rue de Madrid
Rencontré l'autre hiver une fleur sur les lèvres

Je te n'ai pas dit
Que les guitares de Paris
Pouvaient apprendre ta chanson
Toi mon ami l'Espagnol de la rue de Madrid
Rencontré l'autre hiver une fleur sur les lèvres

Et puis tu es parti
Dans les rues de Paris
Et tu ne m'as rien dit



              
Monsieur Tout–Blanc
Vous enseignez la charité
Bien ordonnée
Dans vos châteaux en Italie
Monsieur Tout–Blanc
La charité, c'est très gentil
Mais qu'est–ce que c'est?
Expliquez–moi

Pendant ce temps–là moi je vis à Aubervilliers
C'est un petit coin perdu au bout de la misère
Où l'on n'a pas telle ment de questions à se poser
Pour briffer faut bosser mon petit père

Monsieur Tout–Blanc
L'oiseau blessé que chaque jour
Vous consommez
Était d'une race maudite
Monsieur Tout–Blanc
Entre nous dites, rappelez–vous
Y'a pas longtemps
Vous vous taisiez

Pendant ce temps–là moi je vivais à Aubervilliers
Ça n'était pas l'époque à dire des rosaires
Y'avait des tas de questions qu'il fallait se poser
Pour durer faut lutter mon petit père

Monsieur Tout–Blanc
Si vous partez un beau matin
Les pieds devant
Pour vos châteaux en paradis
Monsieur Tout–Blanc
Le paradis, c'est peut–être joli
Priez pour moi
Moi j'ai pas le temps

Car je vivrai toujours à Aubervilliers
Avec deux bras noués autour de ma misère
On n'aura plus telle ment de questions à se poser
Dans la vie faut s'aimer mon petit père

Monsieur Tout–Blanc
Si j'enseignais la charité
Bien ordonnée
Dans mes châteaux d'Aubervilliers
Monsieur Tout–Blanc
Ça n'est pas vous que j'irais trouver
Pour m'indiquer
Ce qu'il faut donner


              

Y avait partout des cris stridents
Y avait partout des mains coupables
Et des bandits considérables
Qui me faisaient grincer des dents
Et dans la rue aux mille gorges
Avec son ciel qu'on ne voit plus
Magnifiant mon seul écu
J'ai pu gagner le coupe-gorge
Dis-moi, fille du nord
Avec ton air tranquille
Tu écumes la ville
Et dois gagner de l'or
Non pas, répondit-elle
Je suis encore pucelle
Et ne suis là vraiment
Que par enchantement
Et l'inconnue parla
Comme on parle aux navires
Dans les ports orgueilleux
Que les départs déchirent
Je restais là comme un dadais
Elle était belle comme un cygne
Et moi, j'avais une de ces guignes
Ça n'était pas c'que je croyais
Elle me conta des faits étranges
Qu'elle habitait un ciel pervers
D'où l'on voyait tout à l'envers
Pendant ce temps-là, moi j'faisais l'ange
Dis-moi, fille du nord
Avec tes airs bizarre
Et tes façons barbares
Tu serais mieux dehors
"Je sais" répondit-elle
"J'ai tort d'être pucelle
Crois-moi en vérité
C'est ma célébrité"
Et l'inconnue chanta
Comme on chante à l'église
Les dimanches matin
Aux messes des marquises
La chambre était au paradis
D'un vieil hôtel à luminaire
Où l'on cultive la chimère
En y mettant un peu le prix
C'est une chose épouvantable
On était presque au petit matin
J'avais beau lui faire un dessin
Elle voulait pas se mettre à table
Dis-moi, fille du nord
Avec tes airs primaires
Tu me la bâilles amère
Je ne suis plus d'accord
"Tant pis" répondit-elle
"Si je reste pucelle
La fin te le dira
Alors, tu comprendras"
Et l'inconnue pleura
Comme on pleure au théâtre
En voyant des pantins
Se foutre des emplâtres
On croit trouver une âme sœur
Et l'on récolte une vestale
Qui vient vous faire la morale
Dans un hôtel sans ascenseur
J'en étais là de mes pensées
J'ai senti sa main sur mes yeux
Tout comme un truc miraculeux
Et la dame s'est en allée
Dis-moi, fille du nord
Hélas, adieu romance
À peine ça commence
On change de décor
J'croyais que ces demoiselles
N'étaient jamais pucelles
Et puis, sait-on jamais
À une exception près
Et la vierge lassée
Partit sans m'avoir eu
Ça n'était qu'un soldat
De l'Armée du Salut





              

Si l'on mettait le monde entier
Dans les chansons du coin de ma rue
Ça me ferait de quoi voyager
Si l'on mettait le coeur des gens
Dans les manèges des forains
Ça leur ferait de quoi s'aimer

Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l'amour et puis la peine
Tur–lu–tu–tu chapeau pointu
Il y'a des artilleurs
Il y'a des bonnes d'enfants
Il y'a des vieux messieurs
Il y'a des gens heureux
Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l'amour et puis la peine
Tur–lu–tu–tu chapeau pointu

Je te paierai un beau fusil
Pour massacrer tous ces pantins
Qu'on voit à la fête foraine
Et puis j'accrocherai ton coeur
A ce manège de deux sous
Qui moud bien tendrement ma peine

Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus
Ça sent l'amour et puis la peine
Tur–lu–tu–tu chapeau pointu
Il y'a des fiancés
Il y'a des tas d'amants
Il y'a un bout de paris
Il y'a tous mes soucis
Écoutez la chanson foraine
Qui parle des amants perdus

Ça se passe à Paris sur Seine
Tur–lu–tu–tu chapeau pointu
Tur–lu–tu–tu n'en parlons plus


     


              

        Je t'ai rencontrée par hasard
Ici, ailleurs ou autre part
Il se peut que tu t'en souviennes
Sans se connaître, on s'est aimés
Et même si ce n'est pas vrai
Il faut croire à l'histoire ancienne
Je t'ai donné ce que j'avais
De quoi chanter, de quoi rêver
Et tu croyais en ma bohème
Mais si tu pensais à 20 ans
Qu'on peut vivre de l'air du temps
Ton point de vue n'est plus le même
Cette fameuse fin du mois
Qui depuis qu'on est toi et moi
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma
Et mon succès qui ne vient pas
Et notre pitance incertaine
Tu vois je n'ai rien oublié
Dans ce bilan triste à pleurer
Qui constate notre faillite
Il te reste encore de beaux jours
Profites-en mon pauvre amour
Les belles années passent vite
Et maintenant tu vas partir
Tous les deux nous allons vieillir
Chacun pour soi, comme c'est triste
Tu peux remporter le phono
Moi je conserve le piano
Je continue ma vie d'artiste
Plus tard sans trop savoir pourquoi
Un étranger, un maladroit
Lisant mon nom sur une affiche
Te parlera de mes succès
Mais un peu triste toi qui sais
Tu lui diras que je m'en fiche
Que je m'en fiche




               

Mets ton habit scaphandrier,
Descends dans les yeux de ma blonde.
Que vois-tu scaphandrier?
Je vois un étrange attirail:
Des fleurs, des oiseaux, du corail,
Et de l'or en fine paillettes.
Mets ton habit scaphandrier,
Descends dans les yeux de ma blonde.
Que vois-tu scaphandrier?
Je vois une source très pure,
Je vois des rires et des deuils,
Une oasis près d'un écueil...
Mets ton habit scaphandrier,
Et dans le cerveau de ma blonde.
Tu vas descendre, que vois-tu?
Il est descendu, descendu...
Et dans les profondeurs du vide
Le scaphandrier s'est perdu...


               

Mon frère était un assassin
Qui travaillait avec la lame
Et chaque soir après le turbin
Il faisait travailler sa femme
Ma soeur écrivait de beaux vers
Dans un journal hebdomadaire
Et si son verbe était amer
C'est qu'on avait tué le libraire

C'est ce qu'on appelle en vérité
Une famille respectable
Et l'assassin fut invité
A mettre les pieds sous la table

Mon père avait un bar–tabac
Que fréquentaient de drôles de têtes
Ils vivaient tous dans l'aléa
Et papa plaçait leur galette
Ma soeur accordait au comptoir
D'incommensurable chopines
Bossant du matin jusqu'au soir
Cherchant une rime à rapine

C'est ce qu'on appelle en vérité
Une famille infatigable
Le travail c'est la liberté
C'est une chose formidable

Ma mère alors avait un tic
C'était le complexe d'oedipe
Ce n'est peut–être pas très chic
Mais j'avais déjà des principes
Ma belle–soeur je vous l'ai dit
Avait un métier unanime
Elle aimait beaucoup son mari
Trouvant cela plus légitime

C'est ce qu'on appelle en vérité
Une famille véritable
Ou l'instinct de propriété
Se révélait inéluctable

Tonton tata soudain fauchés
Fatigués de l'Europe flasque
Devinrent tous deux attachés
A une ambassade fantasque
On chuchote sous le manteau
Que tous les soirs à Buenos Aires
Tonton tata dans leur huis–clos
Font dire maints et maints rosaires

C'est ce qu'on appelle en vérité
Une famille présentable
Et si tonton fut arrêté
Ben ça paraît à peine croyable

D'autre frangins d'autres frangines
Y'en avait qui faisaient partout
Faut avouer que pour la ligne
Ma maman en avait pris un coup
Et malgré l'odeur d'ammoniac
Le père aimait à se repaître
Pour qu'on lui faute le prix cognac
Y'avait plus tellement de kilomètres

C'est ce qu'on appelle en vérité
Une famille ou une fable
Écrite sans moralité
Il me manque une rime en "able"

Et si vous saviez
Ô combien cela est préférable








               
Dans la rue anonyme
Y'a partout des Jésus
Qui vont quêter leur dîme
Avec des yeux battus

Barbarie donne–lui quelques sous
Barbarie Ô cet air aigre–doux!
Barbarie après tout je m'en fous

Dans la rue où l'on pèche
Y'a des filles d'amour
Qui mettent leur chair fraîche
A l'étal des carrefours

Barbarie garde donc ton écu
Barbarie c'est toi qui l'as voulu
Barbarie le remède est connu

Dans la rue à nausée
Y'avait un assassin
Qui donna la saignée
Au galant pèlerin

Barbarie ce fut accidentel
Barbarie en sortant de l'hôtel
Barbarie le péché fut mortel

Dans la rue infernale
Qui nous mène au sapin
Lave ton linge sale
Mais prends garde aux pépins

Barbarie si tu veux de l'amour
Barbarie méfie–toi des discours
Barbarie le bonheur est si court
Barbarie...
Barbarie...





               


Au temps des roses rouges Mon cœur sera glacé Car mon œil offensé Taira les infortunes Au temps des roses rouges Je vendrai pour trois thunes Le salaud d'à côté Qui est un gars titré! Et la roue tournera Comme tourne la vie Mon couteau s'en ira Faire de la poésie Au temps des roses rouges Mon gant sera de fer Sur une main de chair Et ça leur fera drôle Au temps des roses rouges D'lâcher leur monopole En gueulant de travers D'inutiles Pater Vivra bien qui vivra Le temps de barbarie Quand l'orgue ne jouera Que par analogie Au temps des roses rouges Sur mon ami Pleyel Je mettrai au pluriel La complainte du crime Au temps des roses rouges Car ils paieront la dîme Les seigneurs sans appel Notés sur mon lebel Mourra bien qui mourra D'une vraie maladie Car la roue finira Plus d'une biographie Au temps des roses rouges Le Bon Dieu sera sourd Et le moment si court Pour prendre les enchères Au temps des roses rouges Misère pour misère On éteindra le jour De tous ces gens de cour Rira bien qui rira Comme à la comédie L'acteur disparaîtra Y aura toujours la vie



              
J'étais un grand bateau descendant la Garonne
Farci de contrebande et bourré d'Espagnols
Les gens qui regardaient saluaient la Madone
Que j'avais attachée en poupe par le col
Un jour je m'en irai très loin en Amérique
Donner des tonnes d'or aux nègres du coton
Je serai le bateau pensant et prophétique
Et Bordeaux croulera sous mes vastes pontons

Qu'il est long le chemin d'Amérique
Qu'il est long le chemin de l'amour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T'en fais pas mon ami je reviendrai
Puisque les voyages forment la jeunesse
T'en fais pas mon ami je vieillirai

Rassasié d'or ancien ployant sous les tropiques
Un jour m'en reviendrai les voiles en avant
Porteur de blés nouveaux avec mes coups de triques
Tout seul mieux qu'un marin je violerai le vent
Harnaché d'Espagnols remontant la Garonne
Je rentrerai chez nous éclatant de lueurs
Le gens s'écarteront saluant la Madone
En pour par le col et d'une autre couleur

Qu'il est doux le chemin de l'Espagne
Qu'il est doux le chemin du retour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T'en fais pas mon ami je reviendrai
Puis les voyages forment la jeunesse
Je te dirai mon ami à ton tour
A ton tour...






              


L'île Saint Louis en ayant marre
D'être à côté de la Cité
Un jour a rompu ses amarres
Elle avait soif de liberté

Avec ses joies avec ses peines
Qui s'en allaient au fil de l'eau
On la vit descendre la Seine
Elle se prenait pour un bateau

Quand on est une île
On reste tranquille
Au coeur de la ville
C'est ce qu'on dit
Mais un jour arrive
On quitte la rive
En douce on s'esquive
Pour voir du pays

De la Mer Noire à la Mer Rouge
Des îles blanches aux îles d'or
Vers l'horizon où rien ne bouge
Point n'a trouvé l'île au trésor

Mais tout au bout de son voyage
Dans un endroit peu fréquenté
On lui raconta le naufrage
L'île au trésor s'était noyée

Quand on est une île
On vogue tranquille
Trop loin de la ville
Malgré ce qu'on dit
Mais un jour arrive
Où l'âme en dérive
On songe à la rive
Du bon vieux Paris

L'île Saint Louis a de la peine
Du pôle Sud au pôle Nord
L'océan ne vaut pas la Seine
Le large ne vaut pas le port

Si l'on a trop de vague à l'âme
Mourir un peu n'est pas partir
Quand on est île à Notre–Dame
On prend le temps de réfléchir

Quand on est une île
On reste tranquille
Au coeur de la ville
Moi je vous le dit
Pour les îles sages
Point de grands voyages
Les livres d'images
Se font à Paris


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