vendredi 25 mars 2016

Le concert des Rolling Stones à Cuba : « Notre petite version tropicale de Woodstock »

Le concert des Rolling Stones à Cuba : « Notre petite

 version tropicale de Woodstock » 
  
Le Monde.fr |  • Mis à jour le  | Par 


              Vendredi 25 mars, avant le début du concert gratuit des Rolling Stones à La Havane.
Vendredi 25 mars, avant le début du concert gratuit des Rolling Stones à La Havane. Ramon Espinosa / AP

« Claro que si ! » Bien sûr qu’ils seraient allés au concert des Rolling Stones, ce vendredi 25 mars au soir à La Havane… s’ils n’avaient pas été en France. La réponse est unanime parmi les musiciens, chanteurs et danseurs de la troupe cubaine d’une cinquantaine de personnes présente à Paris pour répéter Carmen La Cubana, le musical qui débutera le 6 avril au Théâtre du Châtelet.
Quelques jours seulement après la visite historique sur l’île du président américain, Barack Obama, le groupe britannique est venu terminer en beauté sa tournée « America Latina Olé » avec ce qui s’annonce comme le plus grand concert jamais vu à Cuba. Il est prévu à 20 h 30, heure locale (1 h 30 heure française), sur une scène de 80 mètres de long, retransmis sur dix écrans géants à la Ciudad Deportiva, la Cité sportive, à quelques kilomètres de l’ultra-centre. Sont attendus entre 500 000 et 1 million de spectateurs, dans ce pays qui compte 11 millions d’habitants ?

« Cuba aime les mythes »

Alors que la publicité est interdite à Cuba, il n’y pas eu besoin de promotion pour que le public soit au rendez-vous, d’autant que l’événement est gratuit et ouvert à tous. « Il y a d’abord eu la rumeur, puis quand le concert a été officiellement annoncé [le 1er mars]c’était une nouvelle incroyable, c’est comme si Michael Jackson était un jour venu faire un concert à Cuba », raconte la percussionniste Yaimi Karell Lay, 35 ans, qui compte suivre l’événement à distance au cours de la nuit, grâce à ses amis sur place.
« Cela a été un choc, et cela a créé une grande attente », renchérit le critique, dramaturge et poète Norge Espinosa, 44 ans, qui a adapté le livret et les paroles de la Carmen de Bizet pour le spectacle cubain :
« D’autres artistes étrangers se sont récemment produits à La Havane, dans des lieux publics, mais les Stones sont un mythe vivant. Et Cuba aime les mythes. Ce concert va être mythique, notre petite version tropicale de Woodstock. »
Le groupe s’était formé en 1962, soit un an après la révolution cubaine, et l’année même de la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba. Bien que le rock n’ait jamais explicitement été interdit, cette musique, considérée comme « impérialiste », a d’abord été bannie par le régime de Fidel Castro, avant d’être progressivement tolérée dans les années 1980 pour s’imposer jusque dans les médias d’Etat aujourd’hui.
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Les membres des Rolling Stones, Mick Jagger, Charlie Watts, Keith Richards et Ron Wood à leur arrivée à l'aéroport de La Havana, jeudi 24 mars.

« Jagger, ce nom ne leur disait rien »

« Je fais partie de la génération qui a connu l’interdiction de la musique anglo-saxonne, enfant, confie le comédien Eman Xor Oña, 46 ans. On se débrouillait pour l’écouter quand même. On arrivait à capter les ondes de deux radios qui diffusaient du rock, notamment celle d’une radio de Miami. On mettait le volume au minimum car les gens étaient surveillés, d’autant que l’on avait des looks de rockeurs, les cheveux longs, ce qui était très mal vu. On écoutait ZZ Top, Led Zeppelin… C’était une belle époque ! »
« Avant ma naissance, mes parents écoutaient du rock : les artistes qui voyageaient rapportaient des vinyles et les faisaient écouter dans leurs cercles d’amis. Au final, la génération qui a entre 55 et 70 ans aujourd’hui a beaucoup écouté de rock’n’roll en cachette, et ils vont aller profiter de ce concert », témoigne encore la trentenaire Yaimi Karell Lay.
La jeune génération s’intéresse-t-elle autant que ses aînés à l’événement ? Le Britannique Jonathan Lee, producteur associé à Carmen la Cubana, raconte cette anecdote : « En octobre, quand Mick Jagger est venu visiter Cuba, je dînais un soir avec deux danseurs d’une vingtaine d’années dans un restaurant quand je me suis rendu compte qu’il était assis à la table d’à côté. J’ai dit aux danseurs : “Vous avez vu, c’est Mick Jagger !” Eh bien, ça ne leur disait rien du tout… Je n’arrivais pas à y croire. »
« Les plus jeunes ne connaissent pas trop les Rolling Stones, mais ils vont être attirés par l’événement, par curiosité, ça marche beaucoup comme ça à Cuba, explique encore Yaimi. Des gens de toutes les générations vont venir de toutes les provinces, comme c’est déjà le cas quand il y a des festivals de rock, ils vont dormir sur place. »

« Un orgasme collectif »

Ce concert leur apparaît-il comme un symbole important de l’ouverture actuelle de Cuba ? « Oui, même si nous ne savons pas exactement à quoi va ressembler ce changement, réagit Norge Espinosa.Ce concert semble à la fois tellement inattendu et tellement nécessaire. Cuba va se reconnecter au reste du monde, c’est un processus lent qui va engendrer beaucoup de discussions, de disputes et de nouvelles perspectives. » « Perspective », relève-t-il, était d’ailleurs le nom d’un programme de la télé cubaine dans les années 1980, qui avait « ouvert une petite fenêtre sur le rock ». Il voit donc aussi ce concert comme « une victoire pour tous ceux qui ont lutté pour que le rock trouve sa place dans le pays, c’est une réhabilitation pour eux ».
Il y a quelques années, Fidel Castro avait inauguré une sculpture de John Lennon dans un parc de La Havane. Un symbole fort qui soulignait au passage la différence de popularité entre les Beatles et les Stones sur l’île. « Les Beatles n’étaient pas associés à l’image violente, très sexuée et crue des Stones. Leurs chansons, même les plus amères, contiennent toujours une part d’espoir ou d’utopie, ce qui ne fait pas vraiment partie du répertoire des Stones. Je suppose que leurs chansons plus douces ont été plus faciles à gérer pour le régime », avance encore le dramaturge.
La musicienne Yaimi Karell Lay voit une autre explication dans cet élan à la faveur des Beatles à Cuba : « L’anglais était la langue interdite, donc nous avions tous envie de l’apprendre. Or, les textes des Beatles sont plus simples à comprendre, c’était nos leçons d’anglais ! »
Que le public connaisse ou non les paroles des chansons du groupe, ce vendredi soir, « quand Mick Jagger va apparaître sur scène, cela va être comme un orgasme collectif », anticipe Norge Espinosa.« J’espère que cela va être le tumulte d’un Cuba différent dans lequel voir, écouter et applaudir les Rolling Stones signifiera que nous sommes dans un temps nouveau, avec de nouveaux espoirs et encore plus de combats à venir. »
Le moment sera en tout cas immortalisé pour les absents : le groupe fait réaliser un documentaire sur ce concert historique.

En savoir plus sur :  http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/03/26/le-concert-des-rolling-stones-a-cuba-notre-petite-version-tropicale-de-woodstock



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